Le 5 décembre 2022, après un peu plus d’un an de négociations, les représentants de la Commission européenne, du Parlement européen et des Etats-membres de l’Union Européenne ont trouvé un accord sur un règlement visant à interdire la commercialisation de produits contribuant à la déforestation ou la dégradation forestière. Ces produits proviennent de 7 matières premières (bovins, cacao, café, huile de palme, soja, caoutchouc
et bois) et sont énumérés dans une liste dans laquelle figurent des dérivés du bois tels que les pâtes de cellulose, les papiers et cartons, les articles en papier et carton (sacs, caisses en carton, papiers hygiéniques, cahiers, étiquettes …) ainsi que les produits imprimés (magazines, livres …).
Ce règlement, qui sera publié formellement au premier semestre 2023, deviendra opposable aux entreprises (non-PME) 18 mois après sa publication, soit vers la fin de l’année 2024 (et mi 2025 pour les PME). Ce texte remplacera le Règlement Bois de l’Union Européenne (RBUE), dont l’objectif, depuis son adoption en 2013, est de lutter contre la déforestation importée.
L’industrie papetière française a fortement soutenu le RBUE lors de sa mise en œuvre, et est très favorable à la mise en place d’une réglementation bien conçue permettant de lutter contre la déforestation, car la commercialisation de produits papetiers qui ne prendrait pas en compte cet impératif va à l’encontre des politiques RSE des entreprises et constitue, de surcroît, un préjudice économique (distorsion de concurrence) et d’image.
Toutefois, en dépit d’alertes répétées de la part de COPACEL, le règlement qui sera prochainement mis en œuvre va apparaître rapidement comme une monstruosité bureaucratique, génératrice d’effets pervers en matière de gestion forestière, source de complexités et de surcoûts qu’il aurait été possible d’éviter sans affaiblir l’objectif recherché.
Ces failles du règlement tiennent notamment à l’intégration du principe de traçabilité, à la centralisation des informations, à la définition de la dégradation forestière et à l’absence, lors de la mise en œuvre du texte, de traitements différenciés entre les pays d’origine des produits.
Le principe de traçabilité qu’impose le règlement nécessite, pour chaque produit (un livre, une enveloppe …), de remonter la chaîne de valeur et d’obtenir la géolocalisation des parcelles forestières dont provient le bois qui a été utilisé (art. 9.d), ainsi que la date de sa récolte. Cette approche pose de très nombreuses difficultés juridiques et techniques, notamment pour les procédés en continu et ceux pour lesquels sont effectués des mélanges. Ce sont ainsi plusieurs centaines de parcelles qui devront être déclarées comme sources potentielles pour une ramette de papier A4 (un peu comme dans une friteuse, où une frite ne peut être reliée qu’à l’ensemble des pommes de terre qui ont été utilisées).
Le principe de centralisation des informations (art. 4.2 et art. 41) obligera chaque entreprise, lors de la vente d’un produit, à renseigner un registre européen, ceci afin de faire figurer dans ce système d’information le nom de son client, et toutes les caractéristiques du produit vendu (quantité, géoréférencement des parcelles …). Comme le principe précédent, cette
obligation recèle de nombreuses difficultés juridiques et techniques.
La définition du terme de dégradation forestière (art. 2.6) est prise dans un sens large, et recouvre notamment la conversion en plantation d’une forêt en régénération naturelle ou d’un taillis. Dans la mesure où les bois provenant de ces plantations seront illégaux (dès lors que la plantation a été mise en place postérieurement au 31 décembre 2020), la conversion ne sera plus envisageable pour les propriétaires, ce qui aura un impact négatif sur la récolte
de bois en France et réduira les options sylvicoles.
Enfin, il est regrettable que, lors de sa mise en œuvre, le règlement conduise à l’application des mêmes règles pour tous les produits, qu’ils proviennent de forêts européennes ou de pays dans lesquels on déplore effectivement des pratiques de déforestation.
Pour Philippe d’Adhémar, Président de COPACEL, « Notre industrie est très favorable à une réglementation qui permette de lutter contre la déforestation importée. Il est dommage qu’un objectif partagé par tous conduise à un règlement qui restera dans les annales comme un exemple de politique publique particulièrement mal conçue, car exagérément complexe, générateur de coûts inutiles et source de nombreux problèmes juridiques ».